L’affaire Hissein Habré rebondit de plus belle. Convaincue de « l’irrégularité » de la composition de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises avec la présence du juge Amady Diouf qu’elle juge scandaleuse, la défense de l’ancien Président tchadien passe à la vitesse supérieure pour exiger l’invalidation de la sentence du 30 mai dernier.

 

Enième rebondissement dans le dossier Hissein Habré avec l’affaire du juge Amady Diouf de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises. Le 13 juin dernier, les conseils officiels de l’ancien homme fort de N’Djamena – qui faisaient face à la presse – avaient relevé « un grand scandale » dans la composition de ladite juridiction. Ils s’étaient voulus péremptoires : « Le juge Amady Diouf n’a jamais exercé la fonction de juge dans sa carrière ». Me Ibrahima Diawara avait déclaré : « La conséquence d’une telle irrégularité, d’une violation extrêmement grave, c’est la nullité de la décision (ndlr : la condamnation à la perpétuité de son client) tout simplement. C’est une Cour d’Assises illégale qui a produit une décision qui n’est nulle et de nullité absolue. Aujourd’hui, ce processus est vicié d’un bout à l’autre. Macky Sall doit prouver que le Sénégal est un État de droit en libérant Habré ». D’après des sources proches de la défense, Me Ibrahima Diawara et ses confrères sont passés à la vitesse supérieure la semaine dernière en écrivant une lettre au Président Macky Sall sur cette affaire. Ils ont mis à sa disposition le dossier administratif complet retraçant le parcours du juge Amady Diouf, pour que « la vérité soit connue ».

 

Les conseils officiels de Habré écrivent à Macky Sall

  

Le 28 juin dernier, c’était au tour des avocats commis d’office pour défendre le natif de Faya-Largeau (Nord du Tchad) d’entrer dans la danse, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Amady Diouf. Ces derniers ont introduit un mémoire en défense (sur intérêts civils) devant la Chambre africaine extraordinaire d’Assises. Dans ce document, dont nous avons eu copie, Mes Mounir Ballal, Mbaye Sene et Abdoul Gning`, tous avocats au Barreau du Sénégal, indiquent : « Postérieurement à la décision sur la culpabilité, s’est posée la question de l’irrégularité affectant la composition de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises par la présence en son sein, d’un de ses membres titulaires, nommé en violation des dispositions de l’article 11 alinéa 5 du statut et de la Loi organique N°92-27 du 30 mai 1992 portant statut des magistrats. En effet, l’article 11 alinéa 5 dudit statut dispose que : ’Les juges sont choisis parmi les personnes…… ayant exercé les fonctions de juge pendant au moins dix (10) ans… ».

 

« La nomination au sein de la CAE d’Assises d’Amady Diouf constitue une irrégularité qui invalide la sentence du 30 mai »

 

Me Ballal et compagnie renchérissent : "Il faut rappeler à l’attention de la Chambre de Céans qu’il convient de donner au terme de ’juge’ son sens commun. Le dictionnaire en donne la définition suivante : ’Celui qui juge, qui a le droit de juger. Personne choisie pour donner son avis, pour arbitrer une compétition, un différend’. Or, soulignent-ils, "il appelle à l’examen de la carrière professionnelle de Monsieur Amady Diouf, que celui-ci n’a jamais occupé les fonctions de `magistrat du siège autrement dit de juge pendant ses vingt-cinq (25) années d’exercice dans le corps de la magistrature. Sur cette question précise relative à la qualité de ’juge’ exigée par l’article 11 du statut pour siéger au sein de la CAE d’Assises, ses membres doivent obligatoirement avoir occupé pendant une durée d’au moins dix (10) ans la fonction de ’juge’". "Pour conforter ce qui précède, il convient de rappeler les intitulés et le contenu des articles 11 et 12 du statut des CAE. L’article 11 est intitulé : ’Composition des Chambres africaines extraordinaires et nomination des juges’. S’agissant de l’article 12 dudit statut, celui-ci est intitulé : ’Ministère public’. Il est indéniable à la lecture de l’article 11, que le rédacteur du statut fait exclusivement référence au terme juge, alors que dans l’article 12, il est fait état devant la Chambre africaine extraordinaire d’Assises du terme de Procureur général et de ses adjoints, et de Procureurs ayant une expérience professionnelle d’au moins dix (10) ans et d’une grande expérience des enquêtes et poursuites pénales", lit-on dans le document susnommé.

 

« La Chambre africaine extraordinaire d’Assises d’Appel doit impérativement trancher cette question cruciale »

 

Les avocats commis d’office pour la défense de Habré estiment qu’"il est pertinent de rappeler que le terme utilisé par le statut des CAE est celui de juge et non pas celui de magistrat, surtout lorsque l’on sait que le corps de la magistrature est composé des magistrats du siège et des magistrats debout ou du Parquet". Dès lors, ils relèvent que "la nomination comme juge titulaire au sein de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises de Monsieur Amady Diouf constitue une irrégularité qui affecte gravement la composition de la Chambre et qui invalide la sentence du 30 mai 2016 en ce que le vice porte sur la notion même et les composantes effectives d’une procédure équitable".

C’est pourquoi Me Ballal et ses confrères considèrent que "la Chambre africaine extraordinaire d’Assises d’Appel doit impérativement trancher cette question cruciale qui met en cause la crédibilité de la justice et les droits fondamentaux de la défense".

 

Pour eux, "au regard de l’irrégularité de la composition de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises, cette dernière ne saurait poursuivre l’examen des demandes portant sur les intérêts civils". "Il est constant en l’espèce et s’agissant de la composition de la CAE d’Assises que les exigences posées par l’article 11 alinéa 5 du statut n’ont pas été satisfaites. Il s’en est suivi une irrégularité notoire dans la composition de la Chambre qui a affecté directement l’indépendance et l’impartialité prescrites par les règles qui constituent le standard minimum en matière de procès équitable et de droits de la défense tel que prévu par les dispositions de l’article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 Décembre 1966. Or, l’ensemble de ces garanties de caractère universel doit naturellement être respecté par toutes les juridictions pénales internationales, à toutes les étapes du procès", soutiennent également les avocats commis d’office.

 

« Le juge Amady Diouf ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité requises »

 

Ils estiment que "c’est le sens et la portée qui résultent de l’interprétation et de l’application par la jurisprudence internationale des articles 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ainsi que des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales lorsqu’elle dispose ’Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle’".

 

 

A leur avis, "ces impératifs d’indépendance et d’impartialité de la juridiction, que garantissent la régularité de sa composition et la compétence personnelle des juges qui l’animent, ont été clairement violés dans la présente cause où il s’est révélé sans contestation, que le juge Amady Diouf ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 11 alinéa 5 du statut".

 

En outre, ces avocats relèvent que "les griefs élevés contre l’irrégularité de la composition de la Chambre d’Assises valent également dans la poursuite des instances sur les actions civiles. Dès lors, étant entendu que la Chambre d’appel saisie du recours de l’accusé, aura l’obligation de statuer sur la régularité de la composition décriée de la Chambre d’instance, celle-ci devra surseoir à statuer sur l’action civile".

 

La défense demande à la CAE d’Assises de surseoir à statuer sur l’action civile.

 

Ils persistent et signent que "le jugement rendu par la CAE d’Assises en son audience du 30 mai 2016 est frappé d’invalidité et par conséquent d’inexistence en droit". Selon eux, "cette inexistence légale invalidant le jugement sur l’action publique contaminera nécessairement la solution qui sera rendue dans le jugement sur les intérêts civils". "La Chambre ne saurait valablement décider de statuer sur les réparations sollicitées par les prétendues parties civiles. Pour les mêmes raisons, elle ne peut valablement statuer sur les demandes de validation des mesures conservatoires prises sur les biens supposés appartenir à l’accusé, et ce à la demande des parties civiles et du ministère public", assènent Me Ballal et compagnie qui, par ces motifs, appelle ladite juridiction à "surseoir à statuer sur l’action civile en raison de l’irrégularité de la composition de la Chambre africaine extraordinaire d’Assises".

 

Source : Le Populaire n°4980

 

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