Ce qui est convenu d’appeler l’affaire Hissène Habré est un prolongement du poker menteur du sommet de Crète du 15 novembre 85 qui avait réuni, ce jour là, les présidents François Mitterand-Khadafi-Habré pour conclure un Accord de Paix au Nord du Tchad. 

                                                                                                                                                         Ismaël Aidara Rédacteur en Chef Délégué

A l’époque, Paris et Tripoli avaient mis à contribution l’ancien Premier ministre grec, Andréas Papandréou, Roland Dumas, Claude Cheysson et Bruno Kreisky, chancelier autrichien. Les cartes vont vite changer de main. Acculé cinq ans après par des mercenaires de tout acabit, armés et payés par le guide de Tripoli et des lobbies pétroliers qui convoitaient les pipes pétroliers du sous-sol tchadien, Hissène Habré sera déposé. Cap sur le Sénégal où il vit depuis sa chute avec une poignée de fidèles collaborateurs. Malgré l’invite du Caire et de Rabat qui lui avaient trouvé un pied à terre. Quelque 22 ans d’exil dont 10 entrecoupés par des flots de tumultes politico-judiciaires et des scénarii d’acharnement aux allures de lynchage. Sans répit. Accusé de crimes présumés de milliers d’assassinats politiques par des organisations internationales des Droits de l’Homme, l’ex-homme fort de N’Djaména fait l’objet d’un ping pong judiciaire à la fois harassant et ridicule. Dakar a rendu 6 décisions de justices en sa faveur. Une décision a été aussi rendue par le tribunal communautaire de la Cedeao, ordonnant la nullité des procédures, du fait du principe de non rétroactivité. En vérité, dans l’affaire Habré le mélange du droit international, de l’affairisme occulte «ambiant» et surtout des logiques supranationales ont fini par saper la crédibilité du corpus juridique à mettre en place. Pour une justice juste ne trahissant pas le principe sacro-saint de Thémis. Tel un panier à crabes, tout le monde se cherche pour abattre une cible. «Habré a été jugé par les juridictions sénégalaises et par la Cour de Justice de la Cedeao et ne peut y être rejugé à Dakar» clame un spécialiste du droit international. Si Abdou Diouf était un bon tuteur de Hissène Habré, Wade le trouvait «encombrant», alors que l’actuel président, Macky Sall, le trouve infréquentable au point de vouloir le faire débarrasser le plancher. Vite. Après les dérives du pouvoir de Wade dans la gestion du dossier Habré, lequel devrait être livré manu militari à Obasanjo en 2005 avant d’atterrir sous la tente du guide à Syrte. C’est le tour de chauffe maintenant de Macky Sall. Il l’a répété haut et fort, «Habré sera jugé sous peu au Sénégal». Le plus intriguant, c’est l’argent devant financer le procès. La somme de 12 milliards Fcfa est annoncée. Du gros business qui attire du beau monde. Le président Déby a casqué déjà 4 milliards (2 milliards sous Wade et bientôt 2 milliards). Il est le vrai procureur de cette future chambre africaine extraordinaire. Ses deux alliés sont Reed Brody, le bourreau du puzzle et la ministre de la justice du Sénégal, Aminata Touré, chargée de mettre en musique la «mort» de Habré. Si l’on ne rectifie pas le tir, on s’achemine vers le procès africain de la honte. Car, le dossier Habré est l’une des plus grosse arnaque politico- judiciaire de ces vingt dernières années. «Tout ce qui pourrit dans l’eau, finira toujours par rejaillir à la surface», dit le proverbe africain.


Hissène Habré, ex-président du Tchad


EXCLUSIF
« Cet empressement de juger Habré est la confirmation d’un engagement politique électoral de Macky Sall »


Très fréquent sur la ligne Paris-Dakar, pour défendre son client, Hissène Habré vivant au Sénégal depuis 22 ans, l’avocat français, Me François Serres, a bien voulu se confier à Les Afriques. Entretien sur fonds de révélations croustillantes, un mois après la rencontre de Dakar …


C’est là le résultat d’un deal politique et financier exécuté au mépris de ceux qui ont déjà, rendu la justice au Sénégal et au plan communautaire.


L
es Afriques : Le gouvernement sénégalais a décidé le 4 octobre 2012 de soumettre un projet de loi à son assemblée nationale pour la constitution d’une chambre extraordinaire africaine pour juger l’ancien président, tchadien, Hissène Habré. Quelle appréciation faites- vous de cette décision?


                                                                                                                           Me François Serres, avocat de Hissène Habré


Cette décision n’a aucun fondement juridique, ni dans le mandat conféré par l’Union Africaine au Sénégal, en violation des dispositions du Traité de l’UA, invalidé également par la décision de la Cour de la Cedeao qui avait indiqué que l’UA, qui exerce un pouvoir exécutif au niveau continental, ne pouvait se comporter comme une juridiction. Le gouvernement sénégalais demande à l’Assemblée nationale de donner au président Macky Sall le pouvoir de ratifier le Protocole d’Accord signé avec la Commission de l’UA le 22 août dernier, que la mi- nistre de la justice a été incapable de produire à la presse, soulignant même en aparté que le document n’était pas finalisé… On se demande ce qui peut être soumis aux députés si ce n’est l’autorisation de ratifier un document tenu secret, conférant ainsi un véritable blanc seing au Président de modifier l’or- ganisation judiciaire sénégalaise en dehors de tout contrôle parlementaire, et en violation des droits ex- clusifs de l’Assemblée en la matière. Il y a violation de la Constitution ! Et nous demandons aux dépu- tés de refuser une telle manipulation.


LA :
Qu’est ce qui motive subitement les autorités sénégalaises de passer à la vitesse supérieure pour la mise en place de ce tribunal alors que 6 décisions de justice ont été rendues par le Sénégal et une par la Cour de Justice de la Cedeao, ordonnant la nullité des procédures ?


F.S. :
Cet empressement dans le contexte sénégalais postérieur à l’élection présidentielle est incompréhensible. Comme si le peuple sénégalais n’avait pas d’autres urgences, y compris en terme de gouvernance judiciaire. Il faut voir dans cet empressement la confirmation d’un engagement politique électoral pris auprès de ceux qui ont soutenu la campagne de Macky Sall. C’est là le résultat d’un deal politique et financier exécuté au mépris de ceux qui ont déjà, comme vous le soulignez, rendu la justice au Sénégal et au plan communautaire.


LA :
Selon nos informations, vous avez adressé deux lettres successivement au président Macky Sall et au ministre de la justice, Aminata Touré, qui sont restées sans suite. Pour vous, la messe est dite ?

F.S. : Oui, c’est exact. Manifestement les autorités sénégalaises, non seulement, veulent organiser le procès du Président Habré, mais elles ont aussi choisi leur camp. Aminata Touré travaille main dans la main avec les ONG, notamment Reed Brody d’Human Rights Watch, qui de son côté assure l’intendance auprès des plaignants avec le concours d’Idriss Déby. Voilà bien un procès équitable qui s’annonce et un curieux attelage ! L’action de la ministre de la justice semble marquée par un fort agenda personnel. Avait-elle seulement qualité pour signer un Protocole d’Accord avec l’UA ? Nous ne le pensons pas. Il lui reviendrait d’ailleurs la responsabilité de proposer les magistrats de cette chambre africaine et le procureur ! Une vraie curiosité constitutionnelle pour les députés à qui on cache le texte, et qui gage bien de l’indépendance de cette chambre…


Manifestation pro-Habré
 

Aucune disposition du Traité de l’UA n’autorisait les chefs d’Etat à donner mandat au Sénégal, et ce au point de conduire le chef de l’Etat sénégalais à remettre en cause ce principe sacro-saint de non rétroactivité.

 

LA : Dans l’affaire Habré, certains experts du droit international, évoquent ce que l’on appelle le principe de non rétroactivité, puisqu’il a été jugé au Sénégal et ne peut y être rejugé. Cela est- il suffisant de l’abstraire de toute forme de juridiction au Sénégal même avec mandat de l’Union africaine?

F.S. : Oui bien sûr et cette question a été tranchée définitivement notamment par la Cour de la CEDEAO en conformité avec toutes les jurisprudences nationales des nations civilisées auxquelles s’est conformée en 2000 et 2001 la justice sénégalaise ; les décisions rendues sont définitives. Elles ont au- torité de la chose jugée et le système judiciaire sé- négalais a été disqualifié de façon définitive… Ce mandat est sans valeur, qui peut justifier que le président Wade se tourne vers l’UA pour tenter de re- mettre en cause les décisions rendues par ses juridictions qu’il a la charge de protéger. Aucune disposition du Traité de l’UA n’autorisait les chefs d’Etat à donner mandat au Sénégal, et ce au point de conduire le chef de l’Etat sénégalais à remettre en cause ce principe sacro-saint de non rétroacti- vité dans sa propre constitution et tout cela pour juger le Président Habré. Même les réformes constitutionnelles du Sénégal ont été condamnées par la Cour de la Cedeao. Cette juridiction avait d’ailleurs suggéré que dans de telles hypothèses, la coutume internationale a parfois permis la création de juri- dictions ad hoc, mais c’est la voie que l’UA avait résolument écarté en donnant mandat au Sénégal, craignant sans doute de créer un précédent fâcheux.


LA :
Il existe deux types de juridictions à l’échelle internationale : une juridiction ad’ hoc et une juridiction hybride. Mais là, il s’agit d’une chambre extraordinaire africaine. Quelle est sa portée et sa valeur juridique dans le dispositif des lois internationales ?


F.S. :
Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une juridiction ad-hoc qui aurait le désavantage de réexaminer l’ensemble des faits intervenus pendant toutes ces an- nées au Tchad, voire les responsabilités d’Idriss Déby qui fournira la matière de ce procès et se posera donc comme le véritable procureur d’un procès dont il s’est amnistié par avance. À la lecture tant de l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l’af- faire ayant opposé le Sénégal à la Belgique que de la volonté du gouvernement sénégalais, on se situe résolument à l’intérieur du système judiciaire sénégalais sur lequel on saupoudre quelques juges africains. Il y a une maîtrise totale de la justice sénégalaise sur cette procédure alors que ce cadre juridique a été condamné pour violation des droits de l’homme ; comment penser qu’un Etat condamné pour ces violations va juger équitablement le président Habré ?

Voilà un juge constitutionnel qui s’arroge le droit de violer les décisions de la Cour de la Cedeao qui a autorité sur lui.


LA :
Votre client fait-il l’objet d’un vaste complot international ?

F.S. : Comment réfléchir autrement ? C’est Idriss Déby, l’auteur du coup d’Etat, appuyé par la France, qui a créé la Commission d’enquête qui a relayé les accusations portées contre mon client, puis s’est amnistié, puis propose de financer ce procès après avoir mis à dispositions des fins limiers d’HRW ses archives, en dehors de tout contrôle judiciaire, qui seront ultérieurement bien utilisées pour orienter le parquet de la chambre africaine dans la détermination du champ des poursuites. Tout cela a un prix, le silence de Reed Brody sur la situation du Tchad et soulève des in- terrogations. Quels témoins viendront du Tchad soutenir le président Hissène Habré ? Le Sénégal est il prêt à les accueillir comme réfugiés politiques ? Sans parler de l’action de la Lybie jusqu’à la chute de Kadhafi… la ministre de la justice du Sénégal ne s’intéresse-t-elle donc pas aux violations des droits de l’homme perpétrées au Tchad depuis 20 ans et rigoureusement répertoriées par ces mêmes ONG ? Pourquoi limiter aux années 82/90 le champ des poursuites ? Pour obtenir le financement tchadien ? Que l’UA fasse le ménage dans la conduite de sa politique judiciaire au niveau conti- nental ! Que le gouvernement sénégalais qui se passionne pour le Tchad saisisse le Conseil de Sécurité et lui demande de saisir la CPI !! Et après nous verrons bien la légitimité de ces actions.


LA :
Le 22 août dernier, madame le ministre sénéga- lais de la justice et Robert Dossou, représentant de l’Union africaine dans le dossier Habré ont signé un Protocole d’Accord pour déterminer les mécanismes de la constitution d’une chambre extraordinaire. Avez-vous une idée du contenu de ce document ?

F.S. : Très vague. Il a été tenu secret et n’était pas finalisé lors de la séance de signature ! Au-delà de sa signature par un ministre sans qualité, force est de constater que la régularité ne se retrouve pas da- vantage du côté de l’UA. Voilà un avocat d’affaires Robert Dossou devenu accessoirement président de la Cour constitutionnelle du Bénin et qui dans un troisième temps a une autre activité professionnelle, celle de se faire l’avocat du procès d’Hissène Habré en violation des règles régissant le fonctionnement de l’institution qu’il dirige. Voilà un juge constitu- tionnel qui s’arroge le droit de violer les décisions de la Cour de la Cedeao qui a autorité sur lui et qui est dans cette affaire l’éternel représentant non de l’UA, mais de la Commission de l’UA, une institu- tion qui n’a pas davantage compétence pour créer une juridiction… Il semblerait que ce document proposerait de juger l’ensemble des crimes commis au Tchad entre 82 et 90 ! Encore un habillage pour cacher le fait qu’un tel procès est uniquement dirigé contre le président Hissène Habré…

Me François Serres devant la presse

Nous sommes là au chevet d’une farce tragi-comique qui déshonore la justice africaine et ceux qui prétendent qu’enfin l’Afrique sera jugée au nom de l’Afrique par des africains !


LA :
Le financement du procès devra nécessiter quelque 12 milliards f CFA. La contribution du président Idriss Déby qui s’élève à près de 4 mil- liards intrigue et est suspicieuse. Peut-on parler d’un deal en l’air ?


F.S. :
C’est une évidence. Déby est l’auteur du coup d’Etat, il est le financier du procès, il en est l’enquê- teur en chef et de facto le procureur. Il voulait récemment aussi se constituer partie civile. Nous sommes là au chevet d’une farce tragi-comique qui déshonore la justice africaine et ceux qui prétendent qu’enfin l’Afrique sera jugée au nom de l’Afrique par des africains ! Les juges seront grassement payés pen- dant trois années ; il y aura ainsi dans la magistrature sénégalaise deux catégories de juges, ceux choisis pour condamner le président Hissène Habré et ceux qui continueront tant bien que mal à mettre en œuvre une nouvelle gouvernance judiciaire. Qui peut croire que ces magistrats triés sur le volet auront envie de relever les obstacles juridiques qui s’opposent à un tel procès ? Les magistrats sénégalais ont donc aujourd’hui une responsabilité historique et nous leur demandons de refuser de telles com- promissions. C’est la raison pour laquelle nous de- mandons la constitution par l’Assemblée d’une Commission d’enquête qui pourrait apprécier l’en- semble des violations ici dénoncées, à commencer par le milliard de f CFA, annoncé voici plusieurs an- nées par le Sénégal et dont on pourrait demander à la ministre de la justice qui se passionne pour les biens mal acquis dans quelles poches a-t-il disparu ?


LA :
Donc, l’astuce consiste à habiller cette «chambre extraordinaire» pour juger un seul homme et non des faits commis durant le règne de Habré ?


F.S. :
C’est exactement cela. Une institution conti- nentale sans dossier, sans base juridique décide de juger un homme pointé du doigt et condamné par avance, sans enquête impartiale et en violation de décisions rendues au Sénégal. C’est tout ce qu’avait condamné la Cour de la Cedeao. Les nouvelles décisions gouvernementales violent directement la décision communautaire qui s’impose pourtant au Sénégal. Nous ne manquerons pas de la ressaisir le cas échéant.


LA :
Vous avez saisi, via des correspondances officielles, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, la présidente de la Commission de l’UA, Mme Zuma et le Parlement sénégalais pour attirer leurs attentions sur les dangers de ce procès. Est-ce une nouvelle stratégie de la défense ?

F.S. : Pour l’instant, nous réagissons aux entreprises récentes du Gouvernement sénégalais. Madame Zuma a l’expérience sud africaine derrière elle et saura, nous l’espérons, s’interroger sur l’action entreprise sous la présidence de Jean Ping… Nous estimons que les députés sénégalais ont aujourd’hui une responsabilité historique majeure.

Propos recueillis à Paris par Ismael Aidara

 
Les Afriques . 1 novembre 2012 

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