Le gouvernement tchadien vient d’annoncer son refus de tout transfèrement de personnes inculpées au Tchad, mais aussi d’autres personnes convoquées pour audition par les juges des CAE (Chambres africaines extraordinaires). Le doyen des juges d’instruction a pris une ordonnance rendue publique le 3 septembre 2014 concernant des personnes inculpées ou convoquées par les juges de la Chambre d’instruction des CAE dont certaines sont en attente de transfèrement à Dakar depuis de longs mois. Un flou artistique entoure l’affaire Habré.


Les longs couteaux resurgissent. Contre toute attente, le juge d’instruction tchadien a décerné des non-lieux libérant ainsi certaines personnes et envoyant d’autres devant la Cour criminelle tchadienne, pour y être jugées en octobre 2014. Un camouflet du régime Deby qui joue à distance et à fausses cordes le procès de l’ancien chef d’État, Hissène Habré.


« C’est un tournant majeur dans la mission de juger des CAE, le Tchad ayant pris sur lui d’ignorer ses obligations découlant de l’accord de coopération judiciaire signé entre lui et le Sénégal. Mais aussi et surtout, les autorités tchadiennes, par cette option radicale, tournent définitivement le dos aux CAE », indique un communiqué des avocats de la défense, parvenu aux Afriques. On en conclut avec cette dérobade des autorités tchadiennes des faux fuyants de l’Accord de coopération judiciaire signé entre le Tchad et le Sénégal qui sont vidés de toute substance puisqu’ils visaient à poursuivre un ensemble de personnes présumées responsables de prétendus crimes commis sur le territoire tchadien.


Ce silence volontaire et organisé avait pour objectif d’éviter que l’opinion prenne conscience du fait qu’ils cherchaient désespérément à s’accommoder et à enjamber tous les écueils qui réduiraient à néant l’organisation d’un procès judiciaire digne de ce nom, à cacher les contours d’une farce judiciaire qui se limitait en fait, comme nous l’affirmions depuis la création des CAE et sur mandat de l’UA, à une traque politique ne visant que le président Habré. Ceci pour rester dans la feuille de route politique tracée par le régime du président Macky Sall, c’est-à-dire tenir un procès coûte que coûte, sans aucun souci pour les exigences d’ordre juridique et judiciaire.


Les juges des CAE ont envoyé de nombreux autres mandats d’arrêt aux autorités tchadiennes qui s’obstinent de les exécuter. Ces mandats concernent, entre autres, Mahamat Wakaye, Koni Worimi, Nodjinon Jérôme, Bechir Haggar, Dirdimi Hamid, etc.


Pourquoi les juges des CAE les ont-ils aussi passés sous silence, et qu’ils ont convoqué l’ancien président du Tchad, Goukouni Weddeye, acteur clé dans les évènements politico-militaires qui se sont déroulés dans la période de leur compétence, à savoir 1982-1990 ? Pourquoi ne pas informer que Goukouni a refusé de comparaître à Ndjamena, et même refusé de se déplacer à Dakar ? C’est aussi le cas du Général Koni Worimi, dernier chef d’état-major du président Habré, mais aussi actuellement, l’un des bras droits de Deby. Le Général Koni Worimi a aussi répondu par la négative quand il fut sollicité pour les rencontrer lors de la 4ème commission rogatoire, tout comme Goukouni qui a refusé de répondre à une seule des séries de questions transmises depuis Dakar aux juges tchadiens par les juges des CAE.

La cellule de communication des CAE lézardée


La cellule de com a fait savoir à l’opinion, il y a quelque temps, que face aux multiples tergiversations du Tchad, l’Union africaine, de même que le comité de pilotage des bailleurs de fonds allaient être mobilisés pour faire entendre raison aux autorités tchadiennes. Désormais, la position du Tchad est claire : son refus de tout transfèrement de personnes au Sénégal pour le procès Habré est un aveu de taille que le régime Deby n’entend pas jouer aux bons et loyaux offices dans la quête de la vérité. Cette position du Tchad qui se résume, en fin de compte, à l’amorce d’une clôture du dossier Habré par l’annonce d’un « jugement » accéléré de certaines personnes, en octobre, permettra un verrouillage définitif. Signalons que les CAE n’ont pas annoncé toujours la fin de la phase d’instruction.

Virage à 100 degrés


Devant ce virage du Tchad, les autorités sénégalaises seront mises à nu dans leur acharnement à vouloir liquider le président Habré. Le mutisme de Ndjamena, mais aussi la diversion du ministre de la Justice qui évoque un procès juste et équitable – alors qu’au même moment les autorités tchadiennes posent des actes importants en vue de clôturer l’affaire Habré, en violation de leur engagement – en disent long sur leur volonté de s’accrocher désespérément à leur objectif de faire juger un seul homme devant un tribunal illégal.

 

Par Ismaël Aidara. 

Les Afriques

 

804 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire