Le procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré a repris devant les Chambres africaines extraordinaires lundi 7 septembre après 45 jours d’interruption à Dakar. Le rendez-vous est historique : c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat d’Afrique francophone est jugé en Afrique pour les crimes commis pendant qu’il était au pouvoir. Comment ce procès est-il perçu au Tchad, alors que le pays, en lutte contre Boko Haram, se prépare pour la présidentielle prévue en 2016 ? Pour en parler, RFI reçoit l’opposant tchadien Ngarléjy Yorongar, président du FAR, actuellement en visite à Paris.

 

Il est l’invité de Florence Morice.

 

RFI : Le procès de l’ex-président tchadien Hissène Habré s’est ouvert à Dakar. Que pensez-vous de l’attitude d’Hissène Habré qui comparait de force ?

 

Ngarléjy Yorongar : C’est honteux. D’abord, Hissène Habré a commis l’erreur fatale. Il aurait dû accepter et insister pour que le tribunal de Belgique le juge. Si c’est en Belgique, le droit sera dit, les lois seront respectées, mais il a joué le jeu avec les chefs d’Etat, on a délocalisé le procès à Dakar avec son accord d’ailleurs. Aujourd’hui, il s’étonne que les gens soient incompétents, ce n’est pas sérieux.

 

Vous estimez que les Chambres africaines extraordinaires de Dakar ne font pas correctement leur travail ?

 

J’attends de voir s’il y a des plaintes qui ont été expurgées, j’ai un peu de doutes.

 

Vous regrettez que la plainte déposée contre Idriss Déby, il y a une semaine, n’ait pas été retenue ?

 

Ce n’est pas seulement une semaine. Il y a eu des plaintes qui ont été instruites, mais on les a expurgées. Le tribunal de Dakar a inculpé Hissène Habré de complicité, mais qui est l’auteur principal ? Il y a des gens qui ont nommément désigné Idriss Déby dans leur déposition. Donc on ne veut pas que Idriss Déby réponde de ces actes, c’est pour ça que l’on m’a mis à l’écart. Pourtant j’ai été reconnu par le tribunal de Bruxelles comme témoin et le dossier a été transmis à Dakar. Aujourd’hui, je ne suis pas à Dakar, pourquoi ?

 

Vous étiez commissaire aux armées sous Hissène Habré, est-ce que vous vous sentez également comptable de ces années ?

 

Moi, je ne me sens pas comptable. Les associations des droits de l’homme ont fait des enquêtes sur moi, ils n’ont rien trouvé ni des traces ni rien.

 

Nigeria, Cameroun, Mali, le Tchad votre pays est très engagé militairement dans la sous-région, est-ce que vous pensez que c’est le rôle du Tchad ?

 

Quand une maison d’un voisin brûle, il faut l’aider à l’éteindre. Mais pour Idriss Déby, c’en est trop. Déby n’est pas intervenu seulement au Cameroun, au Nigeria, au Niger et au Mali, il est intervenu en Irak aux côtés de Saddam Hussein, au Soudan pour créer des problèmes à son collègue el-Béchir.

 

Et pourquoi c’en est trop ?

 

Est-ce que ce ne serait pas pour se maintenir au pouvoir ?

 

Vous pensez que Idriss Déby se sert de son armée pour tirer des dividendes politiques ?

 

Exactement, il en tire des dividendes depuis qu’il est au pouvoir. A chaque fois qu’il y a des élections, Déby crée des rébellions dans les pays voisins. C’est pour faire peur à l’occident et il le réussit bien.

 

Que pensez-vous de la condamnation à mort et de l’exécution fin août de 10 membres présumés de Boko Haram ?

 

On veut cacher la vérité aux Tchadiens. Parce qu’en trois jours de procès, on condamne, le lendemain, au petit matin, on les exécute, ce n’est pas humain, ce n’est pas sérieux. On aurait dû faire un bon procès, écouter les gens, peut-être que les Tchadiens auraient appris beaucoup de choses de la bouche de ces gars-là.

 

Que pensez-vous du fait que le Tchad ait rétabli la peine de mort six mois après l’avoir interdit ?

 

La loi sur les terroristes, c’est une arme pour damner le pion et éliminer les opposants. Dès l’instant où vous critiquez Déby, que vous faites des révélations sur le passé de Déby, vous êtes susceptible de passé à la trappe de cette loi.

 

Dix jours plus tôt, Idriss Déby, qui est à la tête du pays depuis 25 ans, a indiqué qu’il ne pouvait pas quitter le pouvoir parce que le Tchad risquait d’être plongé dans l’instabilité ?

 

Et bien bon Dieu, lui-même a remplacé Hissène Habré qui était parait-il indéboulonnable, nul n’est éternel au pouvoir.

 

Que pensez-vous de l’argument selon lequel la situation est trop instable pour permettre un renouvellement ?

 

L’instabilité, c’est son œuvre. C’est lui qui crée l’instabilité pour se maintenir au pouvoir, pour faire peur aux Occidentaux pour qu’on le maintienne au pouvoir.

 

En vue des prochaines élections, le recensement biométrique a débuté lorsque le gouvernement a annoncé qu’il n’y aurait pas de kits d’identification dans les bureaux de vote faute d’argent. Vous et d’autres aviez menacé d’un boycott estimant que ce système ne permettait pas de garantir la transparence du scrutin. Depuis on ne vous entend plus, est-ce que vous avez obtenu des garanties ou est-ce que finalement vous acceptez le dispositif tel qu’il est prévu ?

 

Déby veut frauder. Il veut frauder aux élections, moi je suis allé en tournée pendant trois mois. J’ai dit aux Tchadiens, si les élections de 2016 ne sont pas dignes de ce nom, les Tchadiens n’ont qu’à prendre leurs responsabilités. Ce ne sont pas les hommes politiques seuls qui prendront les responsabilités. J’en ai appelé aux Tchadiens de descendre dans la rue.

 

Il n’y a pas eu de manifestations, on n’a pas beaucoup entendu l’opposition sur ce sujet ?

 

J’ai invité les Tchadiens à prendre leurs responsabilités en s’insurgeant, mais le moment venu peut-être que les Tchadiens vont prendre leurs responsabilités. Pour l’instant « wait and see » (attendons et voyons).

 

Est-ce que dans ces circonstances vous envisagez de participer à l’élection présidentielle ?

 

C’est le congrès qui va le dire.

 

Jusqu’à présent, vous avez toujours fait cavalier seul lors des grandes échéances électorales, est-ce que vous souhaitez que, cette fois, l’opposition arrive unie à la présidentielle ?

 

Mon souhait le plus absolu est que l’opposition aille unie aux élections. Malheureusement, j’ai l’amère expérience en 2001.

 

Vous estimez que vous avez été lâché en 2001 par vos camarades de l’opposition ?

 

J’ai été lâché. Alors, avec ces genres de personnage, comment voulez-vous que l’on aille avec eux ? Tous ces gens là, si ce n’est pas eux, ce n’est personne d’autre. C’est ça la réalité. Mais moi personnellement, je suis pour que l’on organise même des primaires, malheureusement, il n’y aura pas ça.

 

Vous seriez prêt à vous rallier derrière la candidature de Saleh Kebzabo ?

 

A condition qu’il y ait primaire. Si les primaires accordent leur choix à Saleh Kebzabo, pourquoi pas.

RFI

 

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