Alors que depuis plusieurs années l’Etat a souhaité le procès de l’ex-président Hissein Habré en y apportant une contribution financière substantielle et que le 1er juillet 2013 Idriss Déby a même promis au monde entier que le gouvernement et la justice tchadienne se mettront à la disposition des magistrats sénégalais désignés pour juger Habré, voilà qu’on assiste impuissant face à un micmac inattendu de la part d’un lobby qui cherche à entraver la bonne marche de la justice. 

 

Le mutisme suspect du ministre de la Justice

  

C’est d’abord Maître Béchir Madet, ministre de la Justice, qui dément sur les ondes de RFI (radio France internationale) s’être engagé à transférer au Sénégal deux ex-tortionnaires présumés (Younous Saleh et Mahamat Djibrine, dit El Djonto) réclamés par les Chambres africaines extraordinaires. Il dit même « mettre au défi » le procureur Mbacké Fall de lui fournir une seule de ses « notifications écrites » portant engagement de transférer les deux co-accusés de Habré. Cette attitude a fini par mettre hors de lui Reed Brody, conseiller juridique de Human Rights Watch, qui explique sur les antennes de la même station que «Cela fait plusieurs mois que les Chambres africaines extraordinaires et les autorités sénégalaises ont formulé des demandes pour que le Tchad transfère ces personnes, et ça semble bloqué depuis un moment ».

 

L’avocat américain ajoute qu’une rencontre entre les ministres de la Justice du Tchad (à l’époque Jean-Bernard Padaré) et du Sénégal a bien eu lieu en novembre 2013  et devait permettre de déboucher sur « un protocole pour faciliter le transfert de ces suspects », mais observe que « cela n’a pas été fait et, depuis, il y a un mutisme du côté tchadien sur le transfert de ces personnes ».

 

Si cette précision conforte la thèse de Maître Béchir Madet sur l’absence d’un « engagement écrit » de la justice tchadienne de transférer au Sénégal les co-accusés de Habré, il n’en demeure pas moins vrai que cet engagement est d’ores et déjà pris dans le cadre de l’accord de coopération judiciaire entre le Tchad et le Sénégal signé le 3 mai 2013. Aucun autre « engagement » n’est nécessaire pour procéder au transfèrement des co-accusés. Il suffit seulement aux Chambres africaines de formuler une demande écrite en ce sens pour que les autorités tchadiennes mettent en œuvre la procédure prévue par les articles 10 à 12 de l’accord judiciaire susvisé.

 

Aucune raison légitime ne justifie donc le laxisme des autorités tchadiennes qui, d’après Maître Kagonbé Alain (avocat des co-accusés), ne se seraient jusque-là pas manifestés auprès de ses clients pour obtenir leur consentement au transfert conformément aux prescriptions de l’article 12 de l’accord de coopération judiciaire. Vous avez dit blocage ?

Les vociférations discourtoises du Point focal 

 

Plus grave est l’attitude de M. Ousmane Souleymane Haroun, Point Focal des Chambres africaines extraordinaires auprès du ministère tchadien de la Justice. Suite à l’interview donnée par le procureur des Chambres africaines sur les ondes de RFI, le Point Focal a pondu un communiqué totalement discourtois qu’il s’est empressé d’aller lire devant les cameras de la télé Tchad pour donner la réplique à Mbaké Fall. Il considère de façon tout à fait paradoxale que ce procureur « est habitué à faire des sorties médiatiques démesurée avant chaque décision d’une juridiction pour influencer ouvertement celles-ci ». Il en aurait été ainsi le cas le 30 mars et 7 juin 2014 sur les antennes de la RFI où le procureur aurait « récidivé » en organisant « en toute illégalité » une conférence avec les associations des droits de l’Homme qui chercheraient à s’approprier le procès Habré « à l’insu et au détriment des véritables victimes directes et indirectes pour un dessein inavoué ». 

 

Par conséquent, en sa qualité de Point Focal, M. Ousmane Souleymane Haroun dit inviter le procureur Mbacké Fall « à une relecture des textes en vigueur [article 12 des statuts des CAE] au lieu de persister à violer le secret de l’instruction et prendre ouvertement position pour une partie contre les intérêts de l’Etat tchadien ».

 

Au-delà du caractère discourtois de ces propos et des affirmations sans fondement sur la prétendue violation du secret de l’instruction, il convient de rappeler que le Point Focal n’a aucune compétence juridictionnelle ni aucun pouvoir de « rappel à l’ordre ». M. Ousmane Souleymane Haroun, procureur général près la Cour suprême soit-il, joue un simple rôle de « boite aux lettres » auprès des Chambres africaines extraordinaires. Le décret du 5 juillet 2013 par lequel Idriss Déby l’a nommé à ce poste précise bien qu’il a « rang et prérogatives de secrétaire général de ministère ».

 

Cela dit, on ne voit pas comment le procureur Mbacké Fall se mettrait « à prendre ouvertement position pour une partie contre l’Etat tchadien », encore que M. Ousmane Souleymane Haroun ne précise pas de quelle « partie » il parle. S’agit-il de Hissein Habré ou des associations de défense des droits de l’Homme ?  Il serait quand même extraordinaire que subitement le procureur des Chambres africaines se mette à prendre partie pour l’ex-chef d’Etat qu’il poursuit en vertu des textes qui le désignent spécialement pour ce faire. Il serait aussi étrange pour un procureur de prendre partie pour des associations de défense des droits de l’Homme qui, à notre connaissance, ne sont partie au procès en aucune qualité (accusée ou partie civile). Enfin, il est quand même inhabituel pour le représentant du ministère public de prendre partie, dans le cadre d’un procès pénal, pour des victimes. Ces dernières, constituées parties civiles, se font assister par des avocats commis d’office ou qu’elles peuvent choisir librement.

 

Alors, de quelle « partie » parle notre Point Focal ?

A dire vrai, les Tchadiens ne croient pas en la volonté d’Idriss Déby de voir Hissein Habré jugé ailleurs qu’au Tchad. Il a réussi par deux fois à le faire « juger par contumace » et condamner à mort. Mais les associations de défense des droits de l’Homme ainsi que les victimes qui veulent que le procès de Habré englobe également les crimes du « septembre noir » ont milité durement pour un procès hors du Tchad à l’occasion duquel Idriss Déby lui-même devrait être sur le banc des accusés. 

 

Voilà pourquoi certaines personnes ont reçu spécialement pour mission de tergiverser à souhait pour le compromettre définitivement. On peut dire pour l’instant que ces individus sont sur la bonne voie. Mais les Chambres africaines accepteront-elles de juger Habré sans ses présumés complices ?

 

© Hangaabi

 
 

 

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