L’ex-président Habré dont j’ai eu le privilège de faire la connaissance, au plus fort de la bataille de Ndjaména, en mars 1979, et que j’ai retrouvé par la suite sur les terrains d’opération lorsqu’il engageait son combat libérateur contre l’occupant libyen, est accusé de crimes les plus odieux. Il serait responsable de la mort de 40.000 tchadiens « massacrés » sur ses ordres, selon une commission d’enquêtes mise en place par … Idriss Deby ! Mais peut-on valablement juger Habré, à Ndjaména, Dakar, Bruxelles ou ailleurs, sans qu’il ait à ses côtés, sur le banc des accusés, son « acolyte » d’hier, qui est, sans conteste, le plus grand criminel de l’histoire du Tchad moderne ?

Pour avoir été un témoin privilégié (en qualité de journaliste à Demain l’Afrique à Paris et Africa International à Dakar) de la guerre quasi ininterrompue que ce sont livrées les différentes factions tchadiennes au cours des décennies 70/80/90, je me dois à la vérité de tenter de rétablir les faits tels que je les ai rapportés dans mon ouvrage : « Tchad : la machination », paru en 1994 et qui fera très bientôt l’objet d’une réédition. Il appartiendra au lecteur de tenter de démêler ce qui relève du parti-pris systématique au simple exposé des faits dans leur nudité totale. Il est d’abord de nécessaire de rappeler la situation tout à fait particulière du Tchad, ce quadrilatère ensanglanté qui a souffert le martyr et qui a très longtemps été en proie en une instabilité chronique. Ce pays a connu à partir de 1963 une longue période d’affrontements qui ont opposé ; d’une part plusieurs factions tchadiennes, et d’autres part les forces patriotiques, sous la direction d’Hissein Habré, aux envahisseurs libyens du Colonel Mouammar Khadafi qui se réduisaient, pour l’essentiel, à la fameuse légion islamique, constituée d’un ramassis de mercenaires de tout acabit. Il y a eu aussi, on a tendance à l’oublier, des affrontements armés entre Tchadiens et Français. Ces derniers se trouvant toujours sur les côtés de telle ou telle faction tchadienne.


De la responsabilité d’Hissein Habré dans la disparition, entre 1982 et 1990, de 40.000 personnes.

Lorsque Hissein Habré a pris le pouvoir en juin 1982, le pays se trouvait divisé en plusieurs factions politico-militaires dont les plus importantes étaient les Forces Armées Populaires (FAP) de Goukouni Oueddeye, les Forces Armées Tchadiennes (FAT) du Colonel Kaougué Wadal Abdel Kader (qui vient de disparaitre), le CDR Volcan de Acyl Ahmat et le Frolinat 1ère armée de Mahamat Abba Seid. Le Sud du pays avec ses cinq préfectures, était en état de sécession de fait sous la conduite des FAT de Kamougué, tandis que le nord du pays, la préfecture du Borkou-Ennedi-Tibesti (BET), était pratiquement annexé par la Libye. L’insécurité était générale à travers le pays et les groupes armés sévissaient sans retenue, tuant, volant, violant, pillant.

Dans ces conditions, il fallait absolument rétablir la sécurité, la paix et la tranquillité dans les villes et villages. Cet objectif a eu un coup que d’aucuns ont estimé très élevé. Il est indéniable qu’il y a eu des exactions, des tueries, des bavures et autres dérapages fort regrettables. Il y a eu, c’est vrai, des victimes innocentes que l’on saurait décemment qualifié de « victimes collatérales » d’une guerre menée au nom de l’ordre Républicain contre les hordes de brigands sans foi ni loi. Aucune guerre n’est propre. Et celle que Hissein Habré a dû se résoudre à mener pour nettoyer un pays infester de hordes de tueurs et bouter hors de ses frontières les esclavagistes libyens, n’est évidemment pas l’exempte de reproches. Loin s’en faut. Le prix qui a été payé aura-t-il était trop lourd ? Difficile à dire. Selon le poète français Valery, il n’y a pas de « vérité » sans passion, donc sans erreur. En clair, la « vérité » ne s’obtient que passionnément. La « vérité » d’Hissein Habré, l’enfant de Faya-Largeau, a toujours été, tout au long de la lutte qu’il a menée, la construction d’un Tchad libre, indépendant et fort. Est-ce que le prix qui a été payé en valait la peine ? On serait tenté de répondre avec Balzac « qu’on ne peut pas payer une chose inestimable que par une offrande qui soit aussi hors de prix ». Voire.


Des crimes de Deby.

Ceux qui accusent Hissein Habré, qui n’était certes pas un enfant de Marie, de tous les péchés d’Israël, omettent à dessein de rappeler le rôle fondamental et déterminant que le Colonel Idriss Deby a tenu dans la guerre de pacification du Tchad. Deby a d’abord été le Commandant en chef des forces armées du nord (CCFAN) du président Habré. Il a ensuite été nommé Conseiller à la sécurité du président de la République. A ce titre, il était le responsable direct et le chef de tous les services de sécurité et de renseignement, y compris la fameuse DDS de sinistre mémoire, mise en cause par les victimes du régime.

Deby qui ne voit pas d’un œil la politique de réconciliation nationale activement menée par Habré, avec le ralliement d’opposants de poids comme le colonel Kamougué, Acheikh Ibni Oumar, Djibril Négué Djogo, Guérina Kotiga, Kassiré Delwa Koumakoye, Djibrine Hissein Grinki ou Facho Balam, a tenté un coup de force en avril 1989, avec l’appui de son cousin Hassan Djamous, à l’époque « Com-chef » des forces armées nationales tchadiennes. Le coup ayant échoué, Deby s’est réfugié au Soudan où il a été pris en charge par la DGSE (le service de contre-espionnage français et par les services spéciaux libyens.

Le « libérateur » du 1er décembre 1990, comme l’a présenté, à l’époque, la presse française, devait se révélait un tyran implacable dont le long règne est jalonné de meurtres, d’assassinats et d’exécutions extrajudiciaires. Le bilan d’Idriss Deby, celui par la démocratie devra s’enraciner au Tchad, est des plus macabres. Qu’on en juge : près d’un millier de morts dans la seule ville de Ndjaména ! Parmi les suppliciés figuraient Me Joseph Behidi, vice-président de la ligue tchadienne des droits de l’homme, plusieurs anciens ministres, trois journalistes, 163 officiers, sous-officiers et hommes de troupes originaires du Sud qui, regroupés à la périphérie de la capitale, dans l’attente d’une démobilisation, ont été froidement passés par les armes. Mais Deby a fait pire : au moment où se tenaient les assises de la conférence nationale, en février 1993, ses hommes, regroupés au sein de la Garde républicaine de sinistre réputation, massacraient allégrement plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans la ville martyre de Ghoré. Ces massacres avaient même révulsé au plus au haut point feu le colonel Kamougué, qui n’avait précisément pas la réputation d’un tendre, s’étend fait une spécialité dans le genre (les horribles massacres dans le sud que ses hommes contrôlaient, de plus d’un millier de musulmans originaires du nord, en 1979). Celui-ci n’avait pas hésité de qualifier les faits de « génocide » et de « purification ethnique » ! Des déclarations qui n’empêcheront pourtant pas le même Kamougué de ravaler, certainement sans haut le cœur, son rancœur et son dégoût, pour siéger, un mois plus tard, dans le gouvernement constitué au lendemain de la Conférence nationale.

Près de vingt-trois ans après son accession au pouvoir, le fournier des français et des libyens, entré par effraction dans l’histoire d’un pays qui, depuis, continue de souffrir mille morts, affiche, avec un cynisme et une désinvolture à nulle autre pareille, son affligeante incompétence et son mépris pour un peuple devant lequel il s’était pourtant présenté en libérateur !

Outre qu’il paie au prix fort la mauvaise gestion se traduisant par un pillage éhonté de la manne pétrolière, le Tchad se classe aujourd’hui au 188ème rang sur l’indice de la démocratie, juste devant … la Corée du Nord ! C’est tout dire. Idriss Deby a été réélu à la faveur d’une élection truquée et tronquée, a incontestablement en matière de violations graves et massives des droits de l’homme un bilan qui le place loin devant son prédécesseur !

Moriba Magassouba Journaliste –Ecrivain Auteur de « Tchad ; la machination ! » Source : Journal Enquête n° 825 du 13 mars 2013

 

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