Alors que l’on s’achemine vers le procès de l’ancien président Hissein Habré, accusé de crime de guerre et actes de tortures, les autorités politico-judiciaires sénégalaises et tchadiennes ne cessent de multiplier des actes violant manifestement la présomption d’innocence.

 

C’est ainsi qu’après avoir accordé l’asile à son hôte durant 23 ans, (considérant qu’il n’existait aucun risque de fuite pour se soustraire à la justice si d’aventure il devait comparaître devant une juridiction pour être jugé), l’Etat sénégalais a subitement décidé d’incarcérer Habré le 30 juin 2013 dans l’attente de son procès prévu pour la fin de l’année 2014. Pourtant, au regard de l’ancienneté des faits qui lui sont reprochés et du comportement irréprochable dont il a fait preuve durant un quart de siècle à Dakar, il n’était point nécessaire de le placer en détention provisoire. Une simple mesure de contrôle judiciaire avec assignation à résidence aurait largement suffi à garantir sa représentation en justice.

 

Mais comme si le placement en détention ne suffisait pas à semer le doute dans l’esprit des populations africaines, l’Etat sénégalais a décidé de frapper encore plus fort en déboursant pas moins de 130 millions FCFA pour construire (réfectionner, dit-on) une prison censée accueillir Habré et ses complices présumés après leur condamnation. Sauf que, il y a quelques jours, l’ancien président a été d’ores et déjà transféré dans cette prison dite Cap Manuel ; l’Etat sénégalais estimant sans doute que Habré sera incontestablement condamné. Il ne sert donc à rien d’attendre la fin d’un procès dont l’issue est déjà connue. Les Dakarois n’ont pas tort de qualifier ce cachot de « Dakarnamo » en référence au centre de détention de Guantánamo où la notion de présomption d’innocence n’a pas droit de cité ni d’être citée.

 

Autre excès de zèle des autorités politico-judiciaires est la décision annoncée ce jour par le ministre sénégalais de la Justice, Sidiki Kaba, de procéder à une retransmission radiotélévisée du procès Habré. Cette annonce a été faite en présence de son homologue tchadien, Jean-Bernard Padaré. Le but serait d’organiser une publicité du procès de façon à permettre son « appropriation  aussi bien par les Sénégalais que par les Tchadiens », a ajouté M. Kaba.

 

S’il est vrai que la publicité des débats judiciaires est un principe fondamental du procès équitable consacré notamment par l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, il n’en demeure pas moins vrai qu’il n’entre pas dans les pouvoirs des autorités politiques de décider d’élargir son champ d’application qui demeure en principe la salle d’audience où se déroule le procès. Seule la juridiction du jugement pourrait décider, en accord avec les accusés et les parties civiles, s’il y a lieu d’assurer une large publicité du procès par les moyens audiovisuels.

 

A titre d’exemple, au niveau de la Cour pénale internationale, les débats ne sont jamais retransmis en temps réel dans les médias audiovisuels classiques mais seulement sur internet et avec un léger différé de 30 minutes de façon à limiter les risques de trouble à l’ordre public qui pourrait être causé par le comportement ou les révélations de telle ou telle partie au procès.

 

En France, la justice s’est régulièrement opposée même à la diffusion des extraits de vidéo du procès de Maurice Papon sur les chaînes de télévision considérant qu’une telle  diffusion n’est possible qu’une fois le procès totalement clos. Ce qui n’était pas le cas en 2003 lorsque la chaîne Histoire en envisageait la diffusion.

 

Ni le souci d’efficacité de la justice ni celui de la recherche de la vérité ne sauraient justifier les entorses trop nombreuses aux droits de la défense observées ces derniers temps dans l’affaire Habré. La justice a besoin de sérénité et d’indépendance.  Habré est toujours présumé innocent. Il ne faut pas l’oublier.

 

 

Tchadoscopie

 

633 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire