Monsieur le Président et cher frère,

Voilà déjà un mois que vous avez été jeté en prison sur l’ordre d’Obama. Il ne me serait jamais venu à l’esprit que le gouvernement sénégalais tomberait si bas pour obéir aux instructions de l’Etat le plus sanguinaire du monde. Abdoulaye Wade a eu encore raison sur nous ! Quand les Africains transportés de liesse célébraient la victoire du Président noir, il n’avait pas manqué de les mettre en garde en leur demandant de ne jamais oublier qu’il est tout de même Américain, c’est-à-dire rempli de mépris pour les Africains. Et c’est assurément de mépris qu’il s’agit lorsqu’il considère que son compatriote Georges  Bush  a le droit et le devoir de décimer impunément plus d’un million d’Irakiens et que, malgré tout, l’Amérique peut donner à l’Afrique des leçons de droits de l’ homme. Mais, nous ne devons nous en prendre qu’à nous-même car, comme le dit l’adage, personne ne respecte celui qui ne se respecte pas.

En venant vous réfugier chez nous, il y a vingt-trois ans, vous aviez cru de bonne foi que le Sénégal était toujours dirigé par des hommes de génie de la trempe de Léopold Sédar Senghor ! Vous souvenez-vous de la visite que vous lui aviez rendue à Dakar en 1978 alors que vous étiez en pleine guerre de libération? Il vous avait reçu comme un fils, vous avait encouragé et prodigué des conseils. Mais, surtout, au nom de l’Afrique noire, il vous avait soutenu et recommandé à ses amis chefs d’Etat pour une aide matérielle et technique dans votre lutte farouche contre la France et la Libye qui s’étaient partagé votre pays. Le théoricien de la Négritude était toujours prêt à prendre fait et cause pour ses frères de couleur en butte à l’oppression blanche.

Mais, autres temps, autres mœurs ! Vous êtes revenu chez nous une douzaine d’années plus tard sur l’invitation du Président Abdou Diouf. Pendant une décennie, vous avez vécu en Sénégalais avec les Sénégalais jusqu’à ce qu’un matin, inquiet de la force populaire que vous constituiez, on décida de vous liquider définitivement  en accord avec les puissances impérialistes de l’Occident auxquelles toutes les ressources minières du Tchad ont été livrés. On activa alors les organisations de « Finance » des droits-de-l’homme à coup d’euros et de dollars pour commettre le sale boulot de nègres de service ! Tel cupide enseignant qui tirait le diable par la queue déserta les amphithéâtres de l’Université. Tel piètre avocaillon dont le cabinet était en faillite reprit du service. Tel  sale trafiquant d’or ruiné se constitua en victime. Mais tous ces charognards furent renvoyés à leur indignité par la justice sénégalaise qui se prononça contre eux et en votre faveur !

Vint ensuite le Président Abdoulaye Wade reconnu comme un éminent juriste doublé d’un grand africaniste qui comprit tout le profit qu’il pouvait tirer des saloperies des Occidentaux, convaincu que votre dossier était vide et que l’acharnement de ces derniers représentait une injure à l’Afrique. Il était surtout choqué par l’activisme des Belges qui auraient dû passer tout le reste de leur vie à demander pardon à l’Afrique, tant sont indicibles les crimes qu’ils ont perpétrés au Congo et au Rwanda . Il les fit donc tourner en rond pendant douze ans en leur exigeant des sommes astronomiques pour un procès ou une extradition toujours remise à plus tard. Même si l’on ne partage pas ses points de vue ou ses méthodes, force est de reconnaître que c’était là une façon de récupérer les énormes richesses que ces Etats voyous nous avaient volées  durant la traite des nègres et la période coloniale.

Hélas ! Les Sénégalais vivent désormais sous le mandat d’un homme qui doit beaucoup à l’Occident pour son élection. Sarkozy et Obama l’ont soutenu de toutes leurs forces et de tous leurs moyens contre son adversaire. Il est désormais obligé de rendre la monnaie. Les actions déjà menées et les mesures déjà prises en faveur de la France et des Etats-unis en disent long sur son degré de reconnaissance. Ceux-ci vont donc malheureusement nous imposer leur loi.

Monsieur le Président et cher ami, la presse officielle est en train de nous préparer à votre condamnation. L’autre jour, la télévision nationale tenait un débat insipide où n’étaient présents que des hommes  payés pour jeter l’opprobre sur vous ! Journaliste, juge, avocat, enseignant rivalisaient à qui mieux mieux dans la manipulation  et la désinformation. Mais, ce qui m’avait le plus écœuré, c’étaient les propos d’un très cher collègue qui avait  cru devoir  ‘’islamiser’’ ce  procès qui jure non  seulement avec nos traditions d’hospitalité mais  encore avec  les recommandations de Dieu.

En 615 de notre ère, des compagnons du Prophète, persécutés par des infidèles, s’enfuirent de La Mecque pour aller se réfugier en Abyssinie, dans l’actuelle Ethiopie. Le Négus chrétien qui régnait sur ce pays noir refusa d’extrader ces musulmans. C’est ainsi que le Prophète condamne tout chef d’Etat qui remet un croyant à ses ennemis, surtout dans ce mois béni de Ramadan.

Que dire encore de cet ancien ministre des Affaires étrangères de Wade qui a fini par se séparer de lui, tant il est vrai que tout compagnonnage fondé sur le faux est destiné à se fissurer. C’est cet homme qui, sur les ordres de son Président, a amené votre affaire là où elle est aujourd’hui. En violation des décisions des Tribunaux sénégalais, il est allé traduire l’affaire devant l’Union Africaine, c’est-à-dire devant votre ennemi mortel Kadhafi qui en était le Président et qui était très généreux pour les nègres qu’il considérait comme ses esclaves. Et pourtant, lui et son chef savaient parfaitement que l’Union africaine n’a aucune compétence judiciaire. Pire, les deux hommes ont délibérément piétiné l’autorité de la Cedeao qui leur avait expressément intimé l’ordre de mettre fin aux poursuites contre votre personne ! Mais il fallait tout tenter pour  faire plaisir à Kadhafi et lui permettre d’assouvir sa vengeance contre  son tombeur Habré qui l’avait chassé comme un malpropre de la bande d’Aouzou ! Notre ministre a aujourd’hui mauvaise conscience ! Tous les Africains ont vu de leurs yeux les circonstances pénibles et tragiques dans lesquelles ce trio-là s’est disloqué.

Monsieur le Président, l’indignation et la réprobation des chefs d’Etat africains ont été telles qu’ils ont interdit formellement à leurs concitoyens de figurer dans ces chambres « africaines » devenues piteusement des chambres « sénégalaises ». Avez-vous appris, Monsieur le Président, les radiations de magistrats  et les arrestations d’hommes qui, au Tchad, se sont élevés contre les conditions scandaleuses dans lesquelles votre procès s’apprête à se dérouler ?

On ne peut que donner raison à Maître Madické Niang qui déclarait que « l’affaire Habré constitue la plus grosse escroquerie politico-financière de tous les temps ». Comment ne pas saluer l’attitude courageuse de Maître Boucounta Diallo qui, commis contre vous, s’est retiré du dossier lorsqu’il s’aperçut qu’il avait été mêlé à de sordides mesquineries !

A vrai dire, votre affaire représente une farce inqualifiable. Seul le gouvernement du Sénégal est capable de cautionner une plaisanterie aussi dégueulasse et de légitimer une forfaiture aussi criminelle qui défie la raison humaine ! Mais Dieu voit et entend tout !

Monsieur le Président, soyez convaincu que tous les Sénégalais et tous les Tchadiens vous soutiennent et prient  pour vous ! En ce mois béni de Ramadan où nous avions l’habitude de nous retrouver à deux  autour d’un « ndogou », je prie le Tout-puissant afin qu’il vous accorde la force de supporter cette terrible injustice ! Bonne Korité, Monsieur le Président !

Professeur Oumar SANKHARE

« Le Témoin » N° 1135 –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2013) 
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