Fébrile, Idriss Déby Itno, dans le contexte du procès de Hissène Habré ? On pourrait croire que le président tchadien a d’autres chats à fouetter : la baisse du cours du pétrole, Boko Haram la Libye, ses hommes qui se battent dans le Nord-Mali… Mais son entourage en convient : ses soucis viennent aussi de Dakar, de ces Chambres africaines extraordinaires (CAE) dont il a cru un temps pouvoir contrôler l’action – erreur ! – et de cette justice internationale qu’il craint peut-être plus que tout. À N’Djamena, dans les sphères du pouvoir, l’inquiétude est palpable. « Ils craignent que Déby ne soit cité par des témoins et que l’Histoire le rattrape », souligne une source judiciaire au fait du dossier.

 

C’est pourtant le Tchad qui a financé en grande partie ce procès – à hauteur de 2 milliards de francs CFA (3 millions d’euros), soit près du tiers du budget des CAE. « Déby a toujours voulu juger Habré », assure un de ses proches. Mais au fil de l’instruction, il s’est cabré. « Un jour, nous expliquait voici quelques mois un fin connaisseur du dossier, les faucons qui l’entourent se sont réveillés. Quand d’autres personnes ont été inculpées par les CAE en plus de Habré, ils ont sauté sur l’occasion pour dire au président que ce procès pourrait déboucher sur son inculpation. Déby a été surpris : il croyait que ce procès ne concernerait qu’un seul homme. »

 

Le président sait que tous les épisodes sanglants du régime seront évoqués à la barre

 

Depuis, les relations entre les CAE et l’État tchadien, qui a tenté en vain (et à la grande surprise des victimes et des magistrats) de se constituer partie civile l’année dernière, se sont considérablement détériorées. La justice tchadienne a refusé le transfèrement à Dakar de deux témoins clés, Mahamat Djibrine et de Saleh Younous, qu’elle s’est empressée de juger elle-même. Le 25 mars, elle les a condamnés aux travaux forcés à perpétuité pour, entre autres, « assassinats, tortures et détentions arbitraires ».

 

À en croire les acteurs du dossier, Déby n’a guère de souci à se faire. « Aucune plainte ne le vise, indique un avocat. Et le dossier d’instruction des CAE ne compte que très peu d’éléments sur lui. » Mais le président sait que tous les épisodes sanglants du régime seront évoqués à la barre. Et il n’a pas oublié d’où il vient, lui qui a joué un rôle majeur dans la conquête du pouvoir, violente, de Hissène Habré, puis, après la victoire finale, en juin 1982, dans la « pacification », plus brutale encore, du pays.

 

En 1981, quand Habré prépare sa contre-attaque contre les forces tchado-libyennes de Goukouni Weddeye, Déby est, à 29 ans, le chef d’état-major adjoint des Forces armées du Nord (FAN). À partir de 1983, lorsque Habré est bien installé au pouvoir, il devient le commandant en chef des Forces armées nationales tchadiennes (FANT). C’est sous son autorité qu’est menée, en 1984, la terrible répression dans le Sud, connue sous le nom de Septembre noir. Pour soumettre les comités d’autodéfense (les fameux Codos), les FANT, mais aussi la Sécurité présidentielle, la Sûreté nationale et la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) s’adonnent à des exécutions ciblées et à des massacres de masse. Déby le reconnaît lui-même en novembre 1984, dans le quotidien français Le Figaro : « C’est une lutte sans cadeau où nous appliquons une justice expéditive et exemplaire. »

 

Dès son arrivée au pouvoir, il a tenté de se dédouaner des dérives du régime Habré

 

« Déby n’a rien à se reprocher, affirme son entourage. Il était là-bas pour combattre les Codos, pas pour faire la police. Il a même renvoyé à N’Djamena un agent de la DDS qu’il trouvait trop violent. » Des proches de Habré affirment au contraire que « Septembre noir, c’est son affaire ». Dès son arrivée au pouvoir, il a tenté de se dédouaner des dérives du régime Habré. S’il admettait, dans une interview à Jeune Afrique en décembre 1990, avoir travaillé avec lui « très exactement » jusqu’au 1er avril 1989, il assurait avoir très vite choisi de s’en éloigner. En 1985, il rejoint la France pour effectuer un stage à l’École de guerre. « C’est moi qui ai voulu partir […], assure-t-il. J’ai contacté, à l’insu de Habré, les officiers [français] pour qu’ils m’obtiennent une place. » « Avec Hissène, dès que vous émettiez le moindre désaccord, vous disparaissiez », expliquait-il, toujours en 1990.

 

Quant à son rôle auprès de Habré en tant que conseiller à la Défense, après son retour au pays en 1987, en pleine répression des Hadjaraï, son entourage le minore : « Vous savez très bien que ce genre d’affectation s’apparente à un placard », glisse un de ses proches. Pourtant, le président continue de lui donner des missions de première importance. C’est Déby qui, en 1988, en son nom, prend langue avec les Libyens et, la même année, avec des rebelles.

 

Pour sa défense, le président peut citer le témoignage (contesté) d’Hugues de Tressac, un des mercenaires envoyés auprès de Habré par le Français Bob Denard. Dans un livre (Tu resteras ma fille, Plon, 1992), celui-ci rapporte les propos que Déby aurait tenus une fois N’Djamena prise : « Depuis qu’il est ici, je ne comprends plus Hissène. » Pourtant, un autre témoin de l’époque se souvient l’avoir entendu, lors d’un passage à Paris, parler du président « comme d’un dieu ». Et cela bien après la conquête du pouvoir et Septembre noir.

 

Jeune Afrique: http://www.jeuneafrique.com/mag/245598/politique/proces-habre-et-si-deby-etait-rattrape-par-lhistoire-et-la-justice/


Rémi Carayol 

 

 

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