Il était l’une des plus hautes figures de la corruption sous Ben Ali. Imed Trabelsi a témoigné publiquement que le système perdurait.

Le sombre passé de la Tunisie s’est présenté vendredi soir devant l’Instance Vérité & Dignité. Imed Trabelsi, neveu de Leïla Trabelsi, la seconde épouse du dictateur, a provoqué stupeur et stupéfaction en acceptant de témoigner face caméra. À 21 heures, l’un des hommes les plus haïs du pays a déroulé une partie de son histoire. Grandeur et effondrement d’un des hommes-clés de la galaxie de Zaba.

Un témoignage accablant

À des années-lumière de son arrogance d’antan, Imed Trabelsi a présenté un nouveau visage aux Tunisiens. Chemise blanche boutonnée jusqu’au col, cheveux gris saupoudrés de blanc, sagement assis, le quadra a vieilli. Emprisonné depuis le 14 janvier, l’homme a demandé « aux Tunisiens de lui pardonner ». Son témoignage a été enregistré en prison. Durant cinquante minutes, Trabelsi Junior va mettre à nu le système de pillage de l’économie nationale piloté par la présidence de la République sous Ben Ali. Il va mettre des mots sur une réalité connue du pays. Il va décortiquer la simplicité et la méticulosité avec lesquelles un groupe d’hommes (dont le premier cercle, Belhassen Trabelsi et Sakhr El Materi) a fait main basse sur une partie du secteur privé en éliminant sciemment toute concurrence. Pour les connaisseurs de ces affaires-là, Imed Trabelsi n’a pas fait de révélations fracassantes. Mais il a glacé l’opinion en jugeant que le système qu’il décrivait était toujours en vigueur, avec de nouveaux visages.

Du trafic de bananes à la mairie de La Goulette

Sur le fond, la méthode était simplissime. Lorsqu’Imed Trabelsi décide de se lancer dans « le commerce des bananes », les faisant venir d’Amérique du Sud, il indique que très rapidement il a « dominé ce marché ». Avec la complicité de douaniers qu’il rémunérait quasi mensuellement, les bananes d’Imed étaient déchargées au port de Radès sans contrainte de paperasses, encore moins de contrôles, loin des tracas de ses concurrents systématiquement mis de côté. Il en a été ainsi pour toutes les affaires auxquelles le neveu de Leïla Ben Ali a participé : alcool, immobilier… Lorsqu’il s’est lancé, « Ben Ali [lui] a dit : Tu dois mûrir, mettre en œuvre un projet ». Et le président tunisien de le rassurer : « On va t’apporter l’aide nécessaire. » Ce qui le mènera à la tête de la mairie de La Goulette, ville populaire et mythique du pays.

Sans la Révolution, l’homme était promis à des fonctions plus hautes, politiquement parlant. Si l’on dépasse le cas personnel du sieur Imed, sa confession de vendredi a pour mérite de montrer l’étendue de la corruption au sein de l’appareil d’État. Un système gagnant-gagnant pour ceux qui étaient membres du club de la corruption. Les fonctionnaires soudoyés étaient grassement rémunérés, permettant aux puissants de croître en toute impunité. Sans l’entière complicité de l’appareil d’État, pareille mise à sac de la Tunisie n’aurait pu se produire. Ministres, hauts fonctionnaires, douaniers, le spectre des participants au festin de dinars était très large. Et Imed Trabelsi, l’un des rares à connaître l’emprisonnement.

« Le même système est encore opérationnel »

Ses autres comparses familiaux sont en cavale. Belhassen Trabelsi, qui avait épousé l’une des filles de Ben Ali, s’est volatilisé au Canada (alors qu’il devait être expulsé) et Sakhr El Materi vit aux Seychelles, paradis fiscal qui lui a octroyé un passeport. Vendredi soir, l’homme a cité de nombreux noms devant l’Instance Vérité & Dignité. Celle-ci prévoit d’autres auditions publiques consacrées à la corruption. Dans ses attributions, outre les crimes physiques (tortures, viols…) commis par l’État, il lui revient la mission de faire la lumière sur la corruption commise au nom de l’État. Un volet très délicat pour une instance que certains décrient et que d’autres voudraient voir disparaître.

En interne, on explique qu’il y a des dossiers sur quasiment toutes les affaires. Ce qu’expliquait sa présidente, Sihem Ben Sédrine : « Quand l’État s’affaisse et que l’État nouveau n’a pas les moyens d’appliquer sa loi, c’est alors la loi de la jungle. C’est le plus fort qui gagne, celui qui a réussi à acheter tel député, tel maire. Nous sommes dans cette configuration. Nous avons des dossiers sur tous ces cas de figure. Une nouvelle nomenklatura a émergé après la révolution et ils sont en train de se partager le gâteau et même les biens confisqués. » Le témoignage parcellaire d’Imed Trabelsi permet de dresser ouvertement une cartographie de la corruption. Et de tenter de sensibiliser l’opinion à l’actuelle corruption galopante. En 2017, le secteur informel représenterait la quasi-moitié de l’économie privée tunisienne.

Des arrestations à un très haut niveau

Concordance des temps ou simple hasard, suite logique de la confession d’Imed Trabelsi ou désir du chef de gouvernement de reprendre politiquement la main ? En tout cas, on a appris mardi soir que trois hommes d’affaires – considérés comme importants dans le paysage économique – avaient été arrêtés par une unité spéciale de la garde nationale sur ordre de Youssef Chahed. Chafik Jarraya, Yassine Chennoufi (qui fut candidat à l’élection présidentielle de 2014) et Nejib Ben Ismail sont désormais en résidence surveillée. Une disposition que permet l’état d’urgence, actuellement en vigueur en Tunisie jusqu’au 17 juin. Chafik Jarraya s’était illustré dans les médias, affirmant qu’il avait acheté la plupart des journalistes tunisiens. Aucun détail n’a été pour l’instant communiqué. Une opération Mani Pulite est-elle en cours ? La discrétion avec laquelle l’opération a été menée est un premier indice.

 

À TUNIS,  Pour le Point Afrique

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